Accueil A la une «Les filles d’Olfa» de Kaouther Ben Henia : Un docu-fiction hybride et puissant

«Les filles d’Olfa» de Kaouther Ben Henia : Un docu-fiction hybride et puissant

 

Jouant sur l’ambiguïté en adoptant une forme hybride, Kaouther Ben Henia réinvente les codes du docu-fiction en faisant des «Filles d’Olfa» un film potentiellement oscarisable.

Comme à son habitude, Kaouther Ben Henia brouille les pistes entre documentaire et fiction. A partir d’un fait divers qui a défrayé la chronique en Tunisie il y a quelques années, Olfa, mère de quatre filles, s’est rendu compte que ses deux filles aînées ont disparu du jour au lendemain pour rejoindre les rangs de Daech en Libye où elles sont emprisonnées. «Elles ont été dévorées par le loup», révèlent les premières minutes du film. Pour cette histoire singulière d’une famille composée de femmes uniquement où la tendresse côtoie la violence, il fallait un traitement cinématographique spécifique.

La réalisatrice, qui a mis six ans pour réaliser cet opus, s’infiltre avec son équipe dans cette famille pour soutirer les confidences de la mère, Olfa Hamrouni, et de ses deux filles les plus jeunes. Deux comédiennes, Olfa Hamrouni et Aya Chikhaoui, incarnent les deux sœurs disparues et une troisième, Hend Sabri, le double fictionnel d’Olfa, la mère lors de certaines des reconstitutions trop fortes émotionnellement à revivre pour elle. Une histoire vraie sur fond de radicalisme réalisé à partir d’un dispositif original.

Des mots révélateurs

Avant «Les filles d’Olfa», tous les films de Kaouther Ben Henia (Challat Tounes, Zeineb n’aime pas la neige, La belle et la meute et L’homme qui a vendu sa peau) ont eu les honneurs des festivals les plus prestigieux, des critiques et des sorties internationales dans les salles de cinéma. Dans «Les filles d’Olfa», elle fait voler en éclats les codes filmiques du docu-fiction par un jeu de situations réelles et fictionnelles : les actrices rejouent les épisodes du passé de la mère et de ses filles.

Pour préserver l’intimité des échanges et lever le voile sur cette histoire singulière, le tournage se déroule dans un seul lieu. Les souvenirs d’un passé douloureux se ravivent à travers les mots aussi puissants que révélateurs d’une condition féminine fragilisée par un contexte politique orienté à cette époque, vers l’islamisme.

Le hors-champ est aussi important. On entend la voix off de la réalisatrice qui donne des indications et posent des questions aux protagonistes. L’équipe technique est également présente. Olfa donne son point de vue sur les scènes reconstituées en discutant avec les comédiens. La mise en scène sur le fil du rasoir est maîtrisée grâce à un scénario remarquable. Les échanges entre les personnages réels et les acteurs sont intenses et le réel et la fiction s’entrelacent avec fluidité pour comprendre ce qui a amené les deux sœurs à se convertir à l’extrémisme religieux. L’amour possessif de la mère qui angoisse pour ses filles de peur qu’elles deviennent prostituées et qu’elles soient pointées du doigt par une société machiste dont elle a elle-même subi les reproches et les humiliations. Les hommes, incarnés par un seul comédien Majd Mastoura, qui ont traversé la vie d’Olfa lui ont fait endurer une violence autant physique que morale.

Le récit se déroule ainsi sur plusieurs couches qui se complètent l’une et l’autre. Malgré les situations dramatiques vécues par la mère et ses deux benjamines, le film ne manque pas de touches d’humour entre les acteurs et les personnages réels. Au fil de la narration, la parole se libère et les maux finissent par s’écraser sous les mots. 

«Les filles d’Olfa», un grand film hybride ambitieux et risqué, réalisé avec sincérité, intelligence et précision. La puissance des personnages charismatiques hisse encore plus haut le film.

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